Vesta, cette planète qui l’a vu naître, grandir et s’élever à un rôle qui ne devait être le sien. Protectrice d’une nature luxuriante, variée et magnifique. Geôlier du plus grand secret de la galaxie : le Nectar. Ou plutôt sa fabrication ; son extraction. Fardeau qui pèse sur le poids de la conscience de bien peu de gens en cet univers, mais qui finalement, est vite oublié lorsqu’on goûte à ses bienfaits. Pour autant, ils sont nombreux dans sa famille, à avoir renoncer à lui après un temps, pour mourir de façon digne ou juste. Bien qu’il ne verrait pas la mort d’Anthonis comme juste ou digne, loin de là. Vesta, théâtre d’un drame familiale silencieux, qui se joue dans les coulisses du pouvoir de ses protecteurs. Et en cela, si une pierre coinçait l’engrenage, cela pourrait entraîner bien des répercussions sur le cours même de la production ou du marché du Nectar. C’est connu. Tant de chose qui tourne dans la tête de Kajan Alyera depuis des mois. Tout comme tourne les problèmes liés à la contrebande de cette marchandise de luxe ; comme tourne l’idée de revoir une fois de plus ce contrebandier en particulier.

Le véhicule s’arrête devant la villa de luxe des Kaeler-Paine. Le Duc en descendit avec grâce, fier dans sa tenue à la dernière mode, ou devrais-je dire, celle qui serait la prochaine mode. Sa femme y mettait un point d’honneur. Lui, il voulait que cela reste sobre, chic et élégant. Les fioritures et les couleurs extravagantes ne lui seyaient guère. En un rien de temps, il fût introduit auprès de la dame Bronwyn Kaeler-Paine. Après tout, un homme de son importance ne saurait souffrir d’attendre. Et pourtant… Pourtant, Kajan était réputé pour cette même patience, tantôt salvatrice, tantôt cruelle entre ses mains. Il ne fit pas grand cas de disséquer la décoration de la demeure. Le luxe, il le connait même si, sous son règne de protecteur de Vesta, la demeure familiale avait été rendu bien plus sobre qu’avant lui.

La terrasse s’étendait devant ses yeux et assise à la table, la femme à la peau dorée. Son regard brûlant de la chaleur de ses prunelles chocolat détailla cette autre aureum ; celle avec qui il avait accompli quelques missions en leur temps. Un sourire aimable, presque chaleureux lorsqu’on le connaît suffisamment, vient ourler sa lèvre supérieure et s’étendre, malgré sa barbe foisonnante. « Ma chère, très chère, Bronwyn. » Lança-t-il avant qu’un domestique ait pu seulement en placer une. Il ferait assez bien fi des convenances, lorsqu’il s’agit d’une vieille amie. « C’est une grande joie pour moi, de vous revoir. » Le compliment n’était nullement feint ou faux, loin de là.

Pour des raisons propres, bien qu’évidente, Kajan appréciait également Vulcain. Berceau de la religion de la Déesse et des Aureum, dont les deux protagonistes font partie intégrante. Il y a quelque chose qui le lie à cette planète, sans qu’il n’y ait de mot à mettre dessus. Et puis oui, le nectar et l’épice sont deux denrées aussi rares que précieuses ; aussi somptueuses dans leurs bienfaits. Toutes deux aussi rare par leur récolte, bien que celle qui occupe le plus clair du temps de Kajan soit plus néfaste ; plus sombre. Mais oui, lorsqu’on voit Bronwyn, belle et fraîche, alors que l’âge avance pourtant, on préfère ne pas y penser. D’ailleurs, cela ne donne pas non plus des insomnies au Duc, que de savoir que la prochaine récolte se précise sur les lunes satellites de Vesta. Non, avec ses conseillers, ils en sont toujours à réfléchir à comment augmenter le rendement, sans se soucier réellement de ce qui peut se tramer dans l’esprit de ces sacrifiés sur l’autel de la jeunesse éternelle. Comme quoi, goûter au bien fait d’un produit, qui pourtant est issu du pire de ce que peut faire l’être humain, et vous oublierez vite à quel point cela l’est.

L’Alyera se pose alors sur la chaise en face de la dame Kaeler-Paine, croisant ses jambes et posant ses mains jointes sur sa cuisse surélevée. Il détaille encore Bronwyn, sa peau mâte et dorée, se disant que s’il devait trouver une définition visuelle à la chaleur, qu’il ne peut ressentir au toucher, ce serait définitivement cette couleur-là. « Je pense qu’elle se porte comme un charme. Ses amusements nocturnes ont dû être particulièrement grisants, car elle était encore au lit. » Pourquoi caché que sa femme est une libertine de premier ordre à sa partenaire de discussion ; à cette alliée de choix. Peu dans les hautes sphères ignorent l’amour de Lith pour les soirées très privées. Il n’y a seulement qu’à voir les robes qu’elle porte pour comprendre qu’elle est l’incarnation de la luxure. « Et je vous remercie pour le reste de ma famille, ils sont en pleine santé. » Ajoute-t-il en observant dorénavant les faits et gestes du domestique. « Votre époux n’a pas daigné quitter ses chiffres ? » Demande-t-il en retour.

Un sourire amusé et carnassier remplace celui de circonstance sur le visage de Kajan, lorsque son vis-à-vis s’en va droit au but. Il aime ce genre de personne. Tourner autour du pot, ça ne lui ressemble que lorsqu’il est en plein interrogatoire ; lorsqu’il est le Kajan de l’ombre, pas celui de la lumière. « Évidemment, cela va sans dire. » Le vesine décroise alors ses jambes, plonge sa main à l’intérieur de sa veste et en ressort un papier cartonné, écrit de sa plus belle écriture et le glisse face caché sur la table, en direction de Bronwyn. « Voici mon offre. Vous comprendrez que j’use désormais de plus de prudence que nécessaire. Je me méfie de tout le monde. N’importe qui autour de nous pourrait vouloir aider ces contrebandiers. » Et il se repose comme précédemment, glissant son regard chocolat sur le paysage du lac, gardant un instant le silence. « Comme vous noterez également, la faveur que je vous fais personnellement quant au prix, par pure amitié. Quant au transport, mon neveu s’en chargera particulièrement à la date écrite. Je n’ai pas d’homme de confiance plus qualifié et intraitable que lui, ma femme mise à part. Sans compter, qu’il est très impliqué dans la chasse à la contrebande. » Oh ça pour être impliqué, il ne laissera pas un seul de ses malandrins en vie. Ou peut-être si. Pour le livrer à son oncle, qui se chargera du reste, avec l’application méthodique d’un chirurgien.

Jouer avec les apparences, c’était après tout le lot commun de tous les grands de ce monde. Anthonis avait joué pendant des années, conservant l’idée que son mariage était heureux, que ses enfants étaient légitimes… Il n’y avait pas un mot de vrai dans tout cela. Et il avait si bien jouer, qu’il avait même dupé son propre frère. Pour le reste, oui, Kajan et Lith formait le couple parfait aux yeux du monde, parce que c’est ce qu’ils sont en vérité. Le duc aime sa femme et elle l’aime en retour. Toutefois aux yeux de l’un comme de l’autre, amour et sexualité sont aussi complémentaires, qu’ils peuvent être dissociables. Elle a besoin de plus que lui, il l’accepte. Tout comme elle accepte que son cœur appartienne à un autre homme également, sans qu’il n’ait jamais consommé ce vice. Et pour le reste, ses enfants sont bien les siens, c’est tout ce qui compte. Un sourire aimable se dessine sur son visage à l’évocation du mari de Bronwynn. La psychohistoire, très peu pour lui également. Il s’étonnerait toujours que leur mariage tienne, mais il supposait également, que comme avec sa propre épouse, tout était histoire de compromis. Bien que lui, il l’aimait en définitive, cette rousse volcanique.

La prudence est mère de sûreté, en cela Kajan était la prudence incarnée. Enfin, tant qu’il ne croisait plus la route d’un certain contrebandier, qui serait probablement synonymes de sa perte d’un point de vue psychique. Oh, il lui suffirait de bien peu pour faire de cet homme ce qu’il voulait, la nature et la Déesse l’avait rendu redoutable à ce niveau-là. Mais, ce n’était pas ce qu’il désirait au fond de lui. Alors autant faire comme s’il n’existait pas, prier de ne jamais le revoir et espérer qu’il disparaisse de l’univers promptement. D’un signe de la main, il demanda à Bronwynn de lui rendre le carton et sortit son stylo de sa poche. Il ajouta deux autres dates en dessous de la première et la lui rendit avec la même discrétion. « Je n’ai pas mieux à proposer. Vous conviendrez que, tout comme vous, nous sommes des gens fort occupés. Et de plus, mon neveu m’est une ressource plus précieuse encore que le nectar. » Oh ça, il l’avait forgé à son image : redoutable et implacable. Tout comme il avait forgé son épouse et sa fille. Son fils était un rien plus doux, plus Leviye qu’Alyera, mais il ne l’en aimait pas moins. « Ils sont très organisés. J’ai démantelé pas mal de réseau durant ma jeunesse, et avant mes responsabilités, mais ce n’est plus de mon ressort de chasser le hors-la-loi. J’ai d’autres préoccupations. » Dont déjà de gérer la succession houleuse de son frère, en temporisant la tempête que pouvait être sa nièce. S’il fallait en passé par sa suppression, malgré tout son amour, Kajan n’hésiterait pas. Le bien être et la sécurité du plus grand nombre avant tout.

Une alliance nécessaire en effet, si les deux familles voulaient perdurer et surtout, tenir tête aux autres puissances. Rares sont ceux qui oseraient s’en prendre aux Alyera ou aux Kaeler, de peur de perdre les accords commerciaux fournissant épices et nectar. Une rivalité aurait définitivement été un mauvais choix et le duc le savait pertinemment. « Puisque vous parlez si justement d’alliance, ma chère. » Commence-t-il en la regardant verser le vin dans leurs verres. « Que diriez-vous d’une proposition visant à la renforcer ? » Il haussa un de ses sourcils épais et demeuré noir malgré l’argent qui avait envahie ses cheveux bouclés, autrefois d’un noir profond. « Renforcé à la fois l’alliance Alyera-Kaeler, mais mieux encore, notre alliance personnelle à tout deux ? »

D’autres responsabilités, c’était peu de le dire. Surtout d’autres projets, notamment pour améliorer le rendement du nectar. Ce qui passait à la fois par la science, mais aussi peut-être par l’appropriation d’une nouvelle lune, afin d’y élevé la ressource première. Chose qu’il devait évidemment discuter avec les plus hauts placés. Tout dépendait de ce que sa clientèle première souhaitait. Les idées pour moucher les contrebandiers ne lui manquait pas, mais depuis bien longtemps déjà, il savait surtout qu’il ne devait plus viser la tête armée de l’organisation – ce serait à coup sûr revoir Neptune -, mais bien la tête informatrice. Celui, celle ou ceux qui fournissaient les informations et aussi, qui protégeaient l’organisation. Un tel groupe ne peut pas survivre aussi longtemps sans cela et il en est bien conscient. Mais comme il l’a dit à Bronwynn, son temps dans cette histoire est révolu. Place à la jeunesse en la personne de son neveu et de sa propre fille. Un sourire satisfait et aimable se dessine sur son visage, tandis qu’il serre la main de la Vulcaliote avec chaleur, scellant l’accord entendu. La Kaeler-Paine était raisonnable, et cela était tant mieux, car Kajan aime les gens raisonnable et réfléchis. Prenant le verre de vin offert, il le souleva dans un toast. « À la vôtre, dame Bronwynn. À notre amitié et notre alliance. » Dit-il simplement, humant un instant l’odeur du vin si particulier de Vulcain et ne buvant qu’en même temps que la dame, par respect et aussi par prudence.

Un accord se fait, un autre se dessine sur la table sur le ton du bavardage, comme s’ils ne parlaient pas là du destin de leur progéniture. D’autres qu’eux s’offusqueraient mais c’est là la réalité de leur monde et de leur mode de vie. Kajan n’avait pas choisi Lith. Bronwynn n’avait pas choisi Julian. Peu dans le haut de la société avait ce privilège du choix. Alors, leurs enfants n’échapperaient pas à la régle et ils le savaient pertinemment. « Oh est-elle si surprenante ? » Demande-t-il sur un ton taquin. Après tout, les missions pour l’ordre aureum les avait ainsi rapprocher, il préférait dès lors confier la main de son fils à la fille d’une connaissance, voire d’une amie, qu’à celle d’un illustre inconnu. « J’ai toujours trouvé que c’était fort à propos oui. Tout comme, j’ai toujours été étonné qu’aucun Alyera n’ait épousé de Kaeler depuis des temps... très lointain. » Prenant un des fruits confis, il le glissa entre ses lèvres, avant de le déguster avec délectation. Il sourit alors, à la remarque la dame, d’un sourire signifiait effectivement, qu’il ne se laisserait pas dicter sa conduite. « Personne n’oserait. » Répond-il simplement avant de se lècher les doigts pour ne pas qu’il colle de sucre et de les essuyer ensuite sur une serviette. « Mes enfants ont été éduqués dans l’optique de servir la famille, comme moi avant eux ; comme d’autres avant moi. Quant à ma chère et tendre épouse, je suis certains qu’elle se fera une joie de mettre son nez dans tous les préparatifs. Et puis, ce n’est pas comme si, ils étaient si éloigné en âge que ce serait insurmontable. Et de votre côté, aurions-nous des refus à essuyer?»