Mater. La planète aux eaux tantôt calmes, tantôt déchaînées ; sa planète de naissance. Tamehan y revenait souvent, bien qu’il y ait en définitive plus rien qui le retienne ici. C’est plus fort que lui, c’est comme ça ; c’est comme la mer qui appelle le marin. Peut-être que dans le fond, tous les Materi, comme lui, ressentent cet appel au loin. Il n’en sait rien, il n’a jamais interrogé les autres ; il s’en fout. Comme pour beaucoup de chose, l’enfant qui jadis courrait les plateformes du chantier, se fiche de pas mal de chose.  Il revenait parce qu’il en avait besoin au fond, très au fond de lui. Et puis, c’était ici, qu’il avait acquis l’Hydra, puis le Chiméra et finalement, Pegasus. Trois vaisseaux nés sur Mater, pour un contrebandier né au même endroit. Ironique ? Symbolique ? Il s’en cogne de nouveau.

Ici, il possède une maison, quelque part dans les bas quartiers. Un endroit où il peut se terrer quand ça va mal, quand il est blessé ou qu’il n’a pas envie de voir un visage humain. Un clapier pour entraver l’être sauvage. Autrefois, c’était la maison de son enfance. Un passé duquel malgré tout, il ne parvient pas à se détacher. Mais ce soir, il n’est pas là pour se cacher. Ce soir, il est là pour affaire. Alors, c’est dans un des plus beaux hôtels de la ville que Jupiter se rend. Loin de se douter de la surprise qui l’attend. Dans la suite opulente, il jette son sac au pied d’un bureau trop luxueux pour un gamin étant né au-delà de l’horizon du balcon. Il pend la housse qui contient son costume à la porte de la salle de bain, dans laquelle il rentre de même.

L’eau chaude coule sur son corps fourbu du voyage spatial ; sur cette carcasse qui affiche quatre-vingt-sept ans de service au compteur, mais qu’il refuse de laisser vieillir. Sa revanche sur l’existence, il ne l’a pas encore totalement prise et puis, il a désormais trop d’argent à écouler pour le laisser derrière lui. Sa douche terminée, Tam’ entreprend de se raser de frais d’arranger sa tignasse brune, dont les boucles s’allongent et deviennent un peu folles. Mais il les aime comme ça. Pour autant, elles finissent discipliner, lui donnant l’air distingué d’un homme important ; d’un presque dandy. C’est alors, qu’il entend une voix dans la chambre et qu’il fronce ses épais sourcils.

Le contrebandier enfile sa chemise blanche, sur un torse qu’il laisse à découvert et ouvre la porte. Une femme, grande, blonde, l’air important et militaire. Il le sait, il a été pilot impérial dans une autre vie. Elle transpire le haut gradé, la fierté et la froideur. Elle est de dos et la chute de sa robe est vertigineuse. « Que puis-je pour vous, madame ? » Demande-t-il alors, appuyé contre le mur, attachant un à un les boutons de sa chemise, afin de se rendre décent. Un minimum, même si, comme pour le reste, Tamehan s’en fou de l’avis des autres.

Le Materi, lui, ne perd pas une miette de la grande blonde dans sa robe, que l’on dirait avoir moulé sur son corps et qui en dévoile bien assez pour titiller son imaginaire. Il a des yeux, c’est pour voir, pour regarder ; pour apprécier aussi. Pour autant, il n’appellerait pas cela ‘mater’. Disons simplement qu’il a la décence d’apprécier ce qu’il contemple songeusement. Ses doigts continuent inlassablement d’attacher sa chemise, alors que son sourire en coin, taquin et nonchalant ne quitte pas ses lèvres, tandis que ses épaules se haussent avec souplesse. « Mes clés indiquaient la même chose, donc la conclusion d’une erreur de l’hôtel me semble la plus probable. » Dit-il comme si cela ne le dérangeait pas outre mesure. Il n’allait pas faire un scandale en lieu et place, alors que la dame n’avait rien avoir dans cette sombre histoire de chambre d’hôtel. Cela ne lui était jamais arrivé, mais il devait admettre qu’il y avait pire intrus qu’une femme de sa stature.

Tam’ prend alors son nœud papillon, qu’il passe dans son col et qu’il attache. Il passe ensuite son gilet, qu’il boutonne avec la même précision, relevant ses yeux bleus sur la jeune femme lorsqu’elle se présente. Eldrakte... Le nom lui est aussi familier qu’il semble sortit du passer. Il avait connu un Eldrakte, lorsqu’il était à l’armée ; lorsqu’il fût l’un des meilleurs pilotes de sa génération. Il dirait même avec orgueil, qu’il l’est toujours le meilleur pilote de sa génération. Peut-être même qu’avec un verre dans le nez, il frimerait en disant qu’il est le meilleur tout court. Mais il n’est pas là pour ça et surtout, il n’a pas encore touché à un seul verre de la soirée. Eldrakte... « Comme Vice-Amiral Eldrakte ? » Demande-t-il alors, curieux et prenant sa veste de costume pour l’enfiler. « Si c’est le cas, je devrais sans doute me sentir flatter d’avoir été surpris à la sortie de ma douche par si prestigieuse compagnie. » Dit-il avec un sourire charmant et aimable.

Avançant à son tour dans la pièce, Tamehan se vide un verre d’alcool bleu. Boisson typique de sa planète, un peu léger à son goût, surtout depuis qu’il avait goûté à bien plus fort ailleurs. En silence, il propose un verre à la dame, en soulevant la bouteille. Son visage lui était familier ? Cela ne l’étonnait guère. Pour le commun des mortels, Lamermoor est devenu un respectable pilote marchand ; personne ne se doutait que derrière cette couverture, se trouvait l’un des contrebandiers les plus rechercher bien sûr. Et puis, il avait eu son lot de médailles, de remerciements, de victoire et de faits d’armes lorsqu’il était à l’armée. Il doit sans doute encore avoir sa photo qui traîne sur un mur d’honneur ou un truc dans ce goût-là. Certains diraient qu’il était une sorte de légende, mais pour ça, il faudrait qu’il soit mort. « Je fais peut-être partie des gens qui ont un visage passe partout. » Ironise-t-il alors, en portant son verre à ses lèvres. « Tamehan Lamermoor, pour vous servir, madame. »